CHAPITRE VII
— La bâtarde d'Alaric ? fit Corin.
Puis il éclata de rire.
Sidra s'empourpra. Elle fit mine de se lever.
— Non, je vous en prie. Je ne ris pas de vous, mais de la situation. Quel âge avez-vous ?
— Dix-neuf ans, pourquoi ?
— Parce que vous êtes ma su'fala. Ma tante. Gisella, qui est votre demi-sœur, est ma mère.
— Le fils de Gisella... Oui, je vois. Un de ses fils. Seriez-vous Corin ?
— Oui.
— Corin... Le prince héritier d'Atvia. Si la sorcière vous le permet. Vous êtes informé de ce qu'elle fait, n'est-ce pas ? La putain ihlinie de mon père...
Corin se demanda ce que Sidra savait exactement.
— J'ai vu Alaric aujourd'hui.
— Donc, vous savez. Il n'a pas toujours été ainsi, Corin. C'est sa faute, à elle...
— Sidra...
— Je l'ai vue faire. Je l'ai dit à mon père, je l'ai supplié de la renvoyer, afin qu'elle ne puisse pas le détruire. Mais j'aurais dû savoir quel pouvoir elle avait sur lui... Lillith m'a fait expulser du château.
— Contre la volonté d'Alaric ?
— Il ne lui restait plus de volonté propre. Mais elle n'est pas bête. Elle n'a pas utilisé sa sorcellerie contre moi. Elle m'a simplement envoyée ici. Loin de mon père.
— Pardonnez-moi, Sidra, mais je ne le vois pas avec les mêmes yeux que vous.
— Oui, je m'en doute. C'est arrivé après le départ de Gisella pour Homana. Le seigneur d'Atvia s'est senti seul sans sa fille. Il a fréquenté d'autres femmes. Ma mère était l'une d'elles. Quand elle est morte, il m'a prise avec lui. Il n'a jamais fait mystère de ma naissance. Il m'aimait, et il l'a montré.
— Que se passera-t-il quand il mourra ?
— Que peut-il m'arriver de plus que ça ? Je n'ai aucune place dans la succession. Ma mère n'était qu'une jeune fille dont la beauté a brièvement attiré l'attention du seigneur d'Atvia. Je n'ai rien à offrir au royaume.
— A part l'enfant que vous portez.
De nouveau, elle effleura son ventre.
— Comment le savez-vous ?
Il imita son geste.
— Vous me l'avez montré. J'ai déjà vu des femmes attendant un enfant.
— C'était un des gardes de mon père. Il est parti ; la sorcière l'a renvoyé. Au moins, elle me laisse l'enfant.
— Pour le moment. Mais j'ai été élevé au milieu des intrigues politiques, Sidra. Même si vous êtes bâtarde, et l'enfant aussi, le sang royal coule dans ses veines. Si c'est un garçon, qui peut empêcher le peuple atvien de le suivre, plutôt qu'un étranger pouvant changer de forme ?
— Pensez-vous qu'il serait une menace pour vous ?
— Quand l'enfant sera né, si c'est un fils, Lillith peut décider de vous le prendre. Il serait plus facile à contrôler qu'un Cheysuli à l'abri de son pouvoir.
— A l'abri ? Est-ce pour cela que vous portez ce bracelet ?
Il l'avait oublié. Il hocha la tête.
Soudain, Sidra sourit.
— Je suis la tante d'un homme plus âgé que moi, dit-elle.
Il la regarda sans répondre, pensant à Aileen.
— Qu'y a-t-il, mon seigneur ? Quelque chose vous trouble ?
— Appelez-moi Corin. Je pensais à une femme.
— Ah. Tout comme je pense à un homme.
— Savait-il que vous attendiez un enfant ?
— Non. La sorcière l'a renvoyé avant que je sois sûre.
— Ne pourriez-vous lui faire parvenir un message ?
— Je ne sais pas où il est. La sorcière ne me le dira jamais ; je doute qu'Alaric soit au courant.
— Je pourrais essayer de le lui demander.
— Vraiment ? dit-elle, ses joues rosissant.
— Je ne vous promets rien, sinon d'essayer. Je ne crois pas que Lillith m'en dira plus qu'à vous.
— Je vous remercie.
— Je dois y retourner. Je suis parti un peu abruptement... Pourquoi ne viendriez-vous pas avec moi, Sidra ? Si Lillith essaie de vous jeter dehors, elle aura affaire à moi. Nous pourrions poser la question ensemble à Alaric.
Elle n'hésita pas un instant.
— Vous êtes un imbécile, dit froidement Lillith à Corin.
Celui-ci avait eu l'intention d'emmener Sidra directement près d'Alaric. Il avait failli réussir. Mais Lillith gouvernait le château. Des gardes les avaient arrêtés devant la porte du seigneur d'Atvia. Ils avaient été poliment escortés dans une salle d'audience privée.
— Je suis le petit-fils d'Alaric et l'héritier d'Atvia. N'espérez pas parvenir à me tenir éloigné de lui !
— Il est mourant, dit froidement Lillith. Il lui reste la nuit à vivre, peut-être moins. Vous auriez mieux à faire que d'amener une bâtarde.
— Elle a plus de droits que vous.
— Elle a été renvoyée du château à la demande d'Alaric...
— A votre demande, dit Sidra. Pourquoi ne pas me laisser voir mon père ? Il saura dire s'il me veut auprès de lui ou pas.
Lillith ignora l'intervention.
— Rien n'est prévu dans la loi atvienne en faveur des bâtards.
— Je ferai une loi si nécessaire ! lança Corin.
— Comment ? Croyez-vous que le peuple atvien vous accueillera à bras ouverts ? Vous, un étranger envoyé par le Mujhar qui rançonne Atvia depuis vingt ans ?
— Par les dieux, Ihlinie...
— Par mon dieu ! Vous êtes loin d'Homana, Corin. Vous n'avez aucun pouvoir ici. ( Elle alla vers lui et posa une main sur le bracelet d'argent. ) Sentez-vous le mien ?
La douleur envahit le corps de Corin. Il parvint pourtant à se dégager. Avant que Lillith puisse l'éviter, il la frappa au visage de toutes ses forces.
Elle recula et faillit tomber. Ses yeux brillaient d'une haine infinie.
— Que pouvez-vous faire, sorcière ? Je suis un Cheysuli.
— Je peux regarder, dit-elle. Cela me suffira.
— Regarder quoi ? demanda Corin, un frisson glacé lui parcourant l'épine dorsale.
Elle ne répondit pas, mais quitta la pièce.
— Venez, dit Corin à Sidra. Il est temps que nous allions voir votre père.
Hélas, Alaric venait de mourir.
— Lillith était-elle auprès de lui ? demanda Corin au garde.
— Oui, mon seigneur. Je vous en prie, n'entrez pas encore. Laissez-leur le temps de le préparer...
— Ou de cacher les signes de l'intervention de l'Ihlinie.
La porte s'ouvrit. Gisella sortit de la chambre, le regard vide.
— Il est mort... Mort... Mort..., chantonna-t-elle.
( Puis elle sourit. ) Es-tu venu me ramener à la maison ?
— Non, jehana. Votre place est ici...
Elle caressa la chevelure fauve de Corin.
— Mon petit garçon... Mon joli petit garçon... ( Elle saisit les cheveux de son fils à pleines mains. ) Reste ici... Niall a tous les autres. Reste avec moi...
Il se dégagea, sacrifiant une mèche ou deux. Puis il se laissa aller contre le mur.
— Dieux..., dit-il d'une voix faible.
— Je comprends, Corin, dit Sidra. Venez avec moi.
Elle l'emmena à la tour et lui donna de la bière.
Assis sur le sol, il prit Kiri dans ses bras.
— Je n'ai jamais voulu d'Atvia, dit-il. Toute ma vie, j'ai désiré Homana. Je voulais régner. Je voulais être prince d'Homana à la place de mon frère Brennan. Et maintenant, je veux aussi sa future épouse. Envoyé à Erinn pour lui dire de se préparer aux noces, je suis tombé amoureux d'elle. Mais elle doit épouser le prince d'Homana.
— Mon seigneur, je suis désolée...
Corin ferma les yeux.
— Il aura Homana. Il aura Aileen...
Sidra se leva et marcha jusqu'à la porte.
— Nous avions besoin de savoir. De connaître la clé...
Elle ouvrit à Lillith, qui entra, accompagnée de soldats atviens.
Corin regarda Sidra.
— C'est l'enfant de Strahan, dit-elle.
Corin ne perdit pas de temps à réfléchir. Il gravit les marches qui menaient en haut de la tour. Kiri était déjà devant lui. Il ferma la porte ; une pauvre protection, qui ne durerait pas longtemps.
Dehors, tout était noir.
La porte s'ouvrit à la volée.
— Kiri, laisse-moi y aller d'abord. J'amortirai ta chute.
Il tomba dans l'obscurité, atterrissant sur un sol boueux. Il s'apprêta à attraper Kiri. Sans lui, elle se tuerait.
— Nous avons la renarde, lança une voix au-dessus de lui.
— Rendez-vous, cria Lillith. Strahan n'a nulle intention de vous tuer, pas plus que vos frères. Il a besoin de vous.
Si Strahan le voulait vivant, il ne risquait pas d'exécuter Kiri. Corin courut droit devant lui. S'il gardait sa liberté, il avait une chance de délivrer la renarde.
Il brava la pluie, le vent et l'obscurité.
Soudain, le sol se déroba sous ses pieds. Il n'eut pas même le temps de crier.